
J'assume de beaucoup aimer ce que fait Jacques Audiard. C’est toujours très violent, mais j’aime ses personnages, jamais aussi noirs qu’on pourrait croire mais beaucoup moins blancs qu’on aimerait pouvoir espérer.
C’est une vision du « masculin », sans apprêts, sans pitié, une des plus vraies que je connaisse. Et dans un effet surprenant, le « féminin » – non sans ambigüités d’ailleurs, mais avec d’autant plus de force – luit dans l’ombre du masculin.
Ali est déjà "tombé" quand il rencontre Stéphanie, il va pourtant la faire se relever tout en provoquant la chute d'autres, le tout sans états d'âme, sans réflexion, sans prise de conscience réelle, du moins au départ.
Il s’agit presque toujours pour ses héros d’une « rédemption », longue, difficile et, une fois atteinte (si l’on peut dire…) aussi fragile qu’une ballerine sur le fil d’un rasoir tenu par la main (aux 27 os) d’un boxeur amoché.
Le reproche que j'avais été tentée de faire à "Un prophète" se situait au niveau de sa longueur, ici je n'ai pas eu cette impression.
Les effets d'iris (fréquents dans "De battre mon coeur s'est arrêté", ou "Un prophète") ont été subtilement remplacés par des plans rétrécis gagnant en profondeur, ou par la lumière du soleil à travers les treilles, les grilles au bord de la route, ou frappant les visages.
Les deux acteurs principaux (Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts) empoignent leurs rôles très physiques, à bras le corps, comme deux lutteurs étourdis par des chocs différents mais qui veulent garder les yeux ouverts.
Le handicap est à la fois montré très crument et dignement (on pourrait croire à de la froideur), en tant que spectateur on cille, on est heurté mais on ne bronche pas, on encaisse les images sans émotion déguisée ou surfaite (la maîtrise du cinéaste...).
A noter la présence de la rare Corinne Masiero, que j'avais découverte dans le très beau (et tout aussi écorché) "Louise Wimmer".
La beauté des images et émotions ressenties côtoie sans transition, sur le même plan (comme du linge qui sèche sans distinction de noblesse des tissus) le sordide, l’abject ou l’absurde des situations et instincts humains.
Le film est un peu à l’image de cette dent ensanglantée qui rebondit en tournoyant sur le sol au ralenti, dans une troublante et éprouvante beauté.
Au gris de l'âme humaine, Audiard privilégie un noir...très « lumineux ».
Rajout: J'allais oublier la musique! Belles compositions d'Alexandre Desplat, chouettes autres morceaux (State Trooper, Django Django, etc) le son colle à l'image de ce film autant que la lumière.