J’avais été conquise par A propos d’Elly, La fête du feu et Les enfants de Belleville, et bouleversée par Une séparation. J’attendais donc le dernier long-métrage d’Asghar Farhadi avec une impatience renouvelée.
Ce film est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2013.
Après quatre années de séparation, Ahmad arrive à Paris depuis Téhéran, à la demande de Marie, son épouse française, pour procéder aux formalités de leur divorce. Lors de son bref séjour, Ahmad découvre la relation conflictuelle que Marie entretient avec sa fille, Lucie. Les efforts d'Ahmad pour tenter d'améliorer cette relation lèveront le voile sur un secret du passé.
Ce film a clairement un air de famille par rapport aux autres œuvres, il porte dès les premières images la griffe du réalisateur (je ne le ressens pas ainsi mais je conçois qu’elle puisse lasser).
Il est pourtant novateur sur certains plans, et il démontre à tant d’égards la maîtrise impressionnante d’un réalisateur au kaléidoscope de talents, qui pose de vraies questions dans ses films, qui nous bouscule, nous dérange.
Même si les lieux et la langue française apportent un dépaysement certain, ils sont encore une fois le signe d’une grande maîtrise du cinéaste. Diriger tous les acteurs (à l’exception de deux d’entre eux!) par l’intermédiaire d’un traducteur relève d’un pari risqué, au risque de lasser les comédiens eux-mêmes et d’épuiser l’interprète !
Et les acteurs sont très, très bons. J’ai trouvé particulièrement excellente la prestation d’Ali Mosaffa (dont se dégage un charme prononcé, apaisant – mari de Leila Hatami, qui tenait un des rôles principaux dans Une séparation), de Bérénice Béjo (d’une beauté sublimée, inclassable, elle tient certainement là un des rôles de sa vie) et des enfants.
A noter la présence de Tahar Brahim et de Sabrina Ouazani, qui se font leur place !
Les cadrages sont splendides. On constate un soin particulier apporté simultanément aux différents plans (autant le premier que l’arrière) et à leur lumière, et on retrouve de nombreux éléments favoris du réalisateur (l'importance des vitres, des fenêtres, des portes qui séparent les protagonistes et à travers lesquels ils se voient et se parlent).
Certains raccords sont saisissants de limpidité (comme le titre du long-métrage effacé et suivi par les essuie-glaces à l’arrière de la voiture) et les sons collent aux images de manière parfois éprouvante. Ainsi, j’ai sursauté lorsque l’image de l’ancien couple Ahmad-Marie a été immédiatement suivie par le bruit strident de la perceuse dans le plafond maniée par Samir.
Le réalisateur a ce génie de filmer des thrillers du quotidien dans lequel le spectateur est plongé en apnée douloureuse.
Je retiens deux plans magnifiques qui en disent long sur le film : tout d’abord celui, dans un plan aérien fixe, de l’arrivée à la maison, coincée entre les rails et la route dans un triangle vers le bas, préfigurant l’impasse de la situation ; et celui de la toute fin, dans un cadre lentement construit, approchant la perfection en nous dévoilant cette image nuptiale terrible et évidente…
Les thèmes abordés sont vastes, encore plus sombres peut-être que dans Une séparation, mais toujours universels. Le thème de la religion en est cette fois complètement absent. Y cohabitent ceux du couple, de la famille et plus précisément même la famille recomposée, des liens qui résistent au temps qui passe, du poids du passé et des engagements, et enfin de la difficulté de se construire sur des mensonges.
Pendant la projection, une phrase est revenue à plusieurs reprises dans mon esprit : les enfants paient pour les crimes de leurs parents…
Ce monsieur Farhadi est aussi réaliste qu’inquiet pour l’avenir d’une humanité dont il filme avec une humanité et un recul poignants une évolution qui s’apparente à plusieurs niveaux à un certain déclin.
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Un petit article de presse intéressant sur le film: celui de Sud-Ouest
Et l’avis d’un sympathique blogueur parisien, Marco Ze Blog, ici.